Delphine Batho à Limoges : « l’économie circulaire est une voie d’avenir »

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L’économie circulaire est un levier extraordinaire pour sortir de la crise. Elle pourrait engendrer jusqu’à 400 000 emplois, ainsi que des économies de matières premières estimées à 50 milliards d’euros.

En France, on produit environ 355 millions de tonnes de déchets par an. Par ailleurs, on importe la majorité de nos matières premières dont les coûts s’envolent… Et si ce problème devenait LA solution ? Sur invitation de la jeune chambre économique, l’ancienne ministre de l’écologie Delphine Batho a tenu une conférence sur l’économie circulaire à Limoges le 5 février. Elle vient de publier le livre « Insoumise » aux éditions Grasset. « L’économie circulaire est une voie d’avenir pour l’économie française. Elle réduit l’empreinte écologique tout en créant de nouvelles activités industrielles et des emplois », introduisait-elle.

L’économie circulaire : c’est quoi ?

Le principe se résume à la phrase de Lavoisier : rien ne se perd, rien ne se créé, tout se transforme. Les déchets industriels sont considérés comme des ressources à partager et à valoriser par des entreprises locales. Ainsi, on remplace le modèle des trente glorieuses « construire et jeter » (logique d’obsolescence) par le modèle des 4R : « réduire, réutiliser, refabriquer, recycler ». Et au final, l’économie circulaire crée de l’emploi : « Pour mettre en décharge 10 000 tonnes de déchets, il faut 10 emplois. Pour les incinérer, il faut 20 à 40 emplois et pour le retransformer, il faut 250 emplois ! », rappelait la Ministre.

Des entreprises de secteur très différents se retrouvent pour innover autour des déchets et des ressources. Cela ouvre un champ à l’économie de la fonctionnalité. Par exemple, la société Ouest Vendée Balais récupère les balais de voirie usagés de ses clients pour les recycler.

L’économie circulaire suppose que les entreprises tiennent un inventaire de leurs flux et de leurs ressources… et qu’elles effectuent un tri de qualité de leurs déchets ! Enfin, l’économie circulaire englobe aussi l’éco-conception des produits et une consommation plus sobre.

Pourquoi ça démarre doucement ?

Le premier frein est d’abord idéologique : « Il y a un clivage générationnel sur ces questions. On ne reviendra pas au modèle industriel du XIXe siècle. On est rentré dans une nouvelle ère de raréfaction des ressources. Le défi est de continuer à répondre aux aspirations de confort et de consommation des citoyens. L’économie circulaire ouvre un nouveau modèle croissance basé sur la sobriété. Le rôle des responsables politiques est de donner des raisons d’espérer, d’offrir aux entrepreneurs des ressources pour innover et inventer », explique Delphine Batho.

Autre source de blocage : le manque d’acteurs industriels (ce sont souvent des activités secondaires pour les entreprises) et les vides juridiques pour certains produits.

Enfin, les blocages politiques expliquent aussi le retard de la France dans le domaine : « Il y a clairement un écart entre les discours politiques et le budget dédié à l’environnement. L’écologie devrait être un ministère régalien », soupire l’ancienne Ministre.

Les solutions pour aller plus loin

Lors de la table ronde, plusieurs idées ont émergé. Tout d’abord, pour avancer, une loi-cadre sur l’économie circulaire semble nécessaire, comme celle adoptée par l’Allemagne en 2012… Certains ont aussi proposé de réduire la TVA des entreprises qui recyclent, et au contraire, d’instaurer un délit d’obsolescence programmée. Parmi les exemples d’outils efficaces : la CCI du Tarn et Garonne propose un logiciel innovant : il met en relation les entreprises recycleuses et celles qui cherchent des matières.

L’agriculture a intégré l’économie circulaire

Le secteur agricole est complètement rodé à ces pratiques, notamment avec les circuits courts et la valorisation des sous-produits agricoles (notamment la méthanisation). « Les agriculteurs peuvent aussi s’impliquer dans la bioconception. Par exemple, certains plastiques pourraient être remplacés par des matières renouvelables agricoles. Mais il faut éviter les conflits d’usage ! Concernant le secteur du bois, la plupart de nos ressources partent en Chine et reviennent en France sous la forme de produits transformés. La règlementation doit mettre un frein à ces exportations, il faut transformer en France nos ressources. On pourrait aussi multiplier les utilisations des sciures de bois », imagine Delphine Batho.

Longtemps montré du doigt, le BTP a fait aussi beaucoup de progrès. Le secteur recycle 65% de ses matériaux, et les chartes de chantiers propres sont de plus en plus courantes.

Le Limousin, berceau de l’économie circulaire

Forte de sa tradition papetière, la région Limousin est aussi sensibilisée au recyclage. D’ailleurs, Jean-Pierre Limousin, président de la CCI régionale, rappelait que l’inventeur de l’économie circulaire était Pierre Leroux, le célèbre imprimeur et député de Boussac en Creuse !

Lors de la table ronde, Josette Guillon a présenté l’action de la Boîte à Papier (basée à Limoges) qui recycle 700 tonnes de papiers par an, mais aussi des plastiques, des déchets médicaux, des équipements électriques et électroniques, des huiles alimentaires, des textiles…

Forinvest Business Angels : les forestiers investissent dans l’aval

Olivier Bertrand, Christian Bouthillon et Nicolas Mathy (chargé de développement de Forinvest)

Olivier Bertrand, Christian Bouthillon et Nicolas Mathy (chargé de développement de Forinvest)

En 2010, la fédération des forestiers privés a lancé le fonds d’investissement Forinvest Business Angels. Le but est de développer l’industrie du bois pour pérenniser la ressource forestière française. Ce fonds met ainsi en relation des forestiers investisseurs avec des porteurs de projets innovants de la filière bois. C’est donc une logique d’intégration entre l’amont et l’aval : « Les forestiers s’inquiètent de la déliquescence de l’industrie. Il fallait réagir et aider ces entreprises », explique Christian Bouthillon, délégué Forinvest. « Les forestiers veulent sortir du bois pour être des forestiers actifs. La forêt limousine est la seconde filière économique du Limousin. Détenir une matière première est un facteur de développement si on sait la gérer et la transformer sur place », ajoute Olivier Bertrand, président du syndicat des forestiers privés du Limousin.

Il définit Forinvest comme « la rencontre entre deux mondes : celui des exploitants forestiers et des industriels. On s’aperçoit que le bois n’est pas seulement une ressource intéressante pour les scieries mais aussi la chimie verte, les cosmétiques, la pharmacologie, la mycosylviculture… Cette matière génère des innovations très surprenantes ».

Forinvest : deux projets en Limousin

Les forestiers membres de Forinvest ont décidé d’investir dans deux projets limousins. Le premier concerne l’atelier LBAF à Saint-Germain-les- Belles. Depuis le mois d’avril, cette unité produit des carrelets et des panneaux en bois feuillus lamellé collé abouté. 28 membres de Forinvest ont investi 250 000 euros dans cette usine, sachant que le Conseil Régional double la mise en mobilisant le fonds Dynalim.

La seconde entreprise soutenue est la start-up Pe@rl pour sa dernière innovation « Biosorb ». Elle utilise des écorces de résineux pour filtrer les métaux lourds des eaux polluées. Les bois rouges (douglas et pins) semblent les plus efficaces et les besoins sont estimés à 600 000 m3 d’ici trois ans. Ce système est actuellement utilisé pour dépolluer l’un des 26 sites uranifères laissés par Areva dans la région. Forinvest a investi 450 000 euros, le Conseil Régional du Limousin a rajouté 300 000 euros et un autre réseau de Business Angel 100 000 euros. « On peut parler de partenariat public-privé, d’autant plus que le fonds stratégique forestier national a accompagné Forinvest et que les ingénieurs de Pe@rl ont été formés par l’établissement public du CNRS », souligne Olivier Bertrand.

16 projets financés en France
Depuis 2010, les 160 membres de Forinvest ont soutenu 16 entreprises françaises pour un montant de 4 millions d’euros. Plus de 200 projets sont examinés chaque année. Une fois validés, ils sont suivis de près par deux membres du comité de sélection. « On est toujours à la recherche de nouveaux dossiers, nos membres sont prêts à investir », annonce Christian Bouthillon. D’autant plus qu’ils bénéficient d’une défiscalisation du montant de leur investissement…

La start’up est dans le pré : un tremplin pour l’innovation rurale

Les 20 et 21 septembre, le concours « la Start’up est dans le pré » tiendra sa quatrième édition à Carbonne près de Toulouse. Créé par Pierre Alzingre et organisé par le club des entrepreneurs du Volvestre, il réunit sur deux jours les talents et les capitaux. L’objectif est de faire émerger des projets innovants en milieu rural. Dès leur arrivée, les candidats défendent leur idée en une minute, constituent des équipes et rencontrent des partenaires nécessaires pour lancer leur entreprise : institutions, élus, université, entreprises, consultants… L’ambiance est très sympa (comme le montre cette vidéo d’annonce de l’édition 2012) et le week-end se termine par le moment redouté de « l’abattoir » : seuls sur un ring, les candidats soutiennent leur projet face au jury.

Soutenue par le groupe les Echos et HEC, l’initiative a remporté le Grand prix du salon Ruralitic 2014. Le slogan du concours est tout un programme : « la tête dans les étoiles et les pieds sur terre ! ».